Focus sur la question du PLI et l’UNIVERS BAROQUE
Bien qu'apparu au XVIIe siècle, le baroque est toujours un mouvement artistique d'actualité. Il se condense en quelques traits dont je puise inspiration tels que la complexité multiforme, la contradiction, le dynamisme, la tension, la diversité, l’ambiguïté, la métamorphose... J'ai passé un certain temps à contempler les architectures et les sculptures du mouvement. Les courbes et les contre-courbes...Bernin surtout qui, avec Apollon et Daphné, à réveillé en moi une véritable fascination. Ce qui attire toute mon attention est en réalité la fluidité des matières rigides rendues modulables par la large utilisation du plissé.
PLI
Le pli est simplement une partie d'une matière que l'on rabat sur elle-même ce qui, en conséquence, forme une double épaisseur. Tout l'art du baroque s'observe dans les abondants plissés des drapés revêtus par les personnages. Selon Zainer, ils ne sont pas de simples matières dépendantes d'un corps humain : toute leur spécificité réside dans leur caractère autonome. Ainsi, les plis se libèrent indépendamment du « corps fini » qui le supporte et ainsi ce corps « se perd sous la largeur du tissu plissé ». Le corps se voit alors défini par de nouveaux contours, des contours imprécis et élargis, divagant dans les strates spatiales et temporelles. Il s'agit donc d'un « pli qui va à l'infini » car il aspire simplement à se multiplier dans l’espace visible et invisible de l’univers. Zainer explique que la prolifération des plis engendre la transgression des arts : débutant des plissés perçus dans le tableau, à la sculpture, à l’architecture puis à l’urbanisme, entendu ici par la vie. Le baroque est donc pleinement un “art total” en ce qu’il passe de l’art à la vie dans une dynamique de continuation de l’art du drapé. Deleuze étend encore ce concept en affirmant que l’unité extensive que représente les arts forme “un théâtre universel” dans lequel les sculptures sont de vrais personnages, la ville est un décor et les spectateurs sont des images (peintes ou sculptées).
Ma pratique marche dans les pas du baroque et de sa conception d'un art total. Par effet de résonance, les plis de mes architectures molles s'infiltrent dans l'architecture de l'espace d'exposition et viennent se jeter dans l'architecture du monde. MULTIPLICATION.
Dans un grand mouvement circulaire, ma pratique vise l'infini grâce à la transgression des médiums. Elle emprunte au Général, le modifie dans le Particulier puis rend une nouvelle proposition au Général.
TERRITOIRE ---} DESSIN/PHOTOGRAPHIE ---} PEINTURE ---} SCULPTURE ---} PERFORMANCE ---} TERRITOIRE
Ma pratique des Roller blinds est une poursuite du baroque.
L'univers baroque propose des œuvres uniques et opaques dans leur intériorité. Des corps faits d'un seul tenant qui cohabitent dans les espaces, répondent aux autres corps et voyagent grâce à leurs interactions réciproques.
La différence avec ma pratique réside dans le fait que mes œuvres ont été travaillées par soustraction. Par la suite, cela permet d'ajouter l'architecture du monde au sein de l'architecture de l'œuvre. Mes œuvres ne sont donc pas opaques. Leurs contours sont, au contraire, poreux et perméables aux autres espaces environnants. La multiplication et la démultiplication des résonances spatiales et temporelles se réverbèrent alors dans les creux des soustractions-additions. Il ne s'agit donc pas, comme dans le baroque, de passer de l'art à la vie, mais bien de brouiller les frontières si bien que l'art et la vie s'en trouvent indissociables.
Performance Fluxus.
Samuel Francart, Focus sur la question du pli et l'univers baroque, Victoria-Athènes, 13 avril 2025

Εκκλησιαστιό μουσείο Ύδρας, painting, cutting and collage on carpet, Athens, 2024
Focus sur la découpe, le White Cube, les nuances de blanc/l'envers et la question de la PERSPECTIVE ATMOSPHERIQUE
Lorsque je partais seul à la découverte de nouvelles îles grecques, je prenais un plaisir incommensurable à marcher pendant des heures. Je faisais toujours en sorte de planifier des randonnées qui me permettaient de me rendre au sommet des montagnes. Arrivé sur ces points culminants, là se jouait la contemplation. Mon instant du Rien et mon instant du Tout. Dans les hauteurs, surplombant les territoires que je venais préalablement d'arpenter, je me sentais devenir un personnage de Friedrich ou de Turner. Sublime vertige.
De ces contemplations, ce qui captait complètement mon regard étaient ces rangées de montagnes qui se superposaient dans l'immensité du lointain. Leurs couleurs et leurs tons s'évaporant dans le vide. Je pouvais en pleurer de beauté.
J'expérimentais avec conscience la perspective atmosphérique.
La perspective atmosphérique est un des moyens de rendre l'illusion de la distance dans une production picturale. Elle a été inventée vers l'an 1000 par des artistes chinois ayant eu l'idée d'estomper l'encre par l'utilisation du lavis d'encre et la soie blanche. Au début du XVe siècle, après la mise au point de la peinture à l'huile, des artistes flamands se sont intéressés à la façon dont l'atmosphère et la distance peuvent influencer l'apparence des objets. Ainsi, Léonard de Vinci s'est rendu compte qu'à mesure qu'un objet s'éloigne du spectateur, ses couleurs et ses tons se modifient : plus un objet est éloigné, plus il prend la valeur et la teinte de l'arrière-plan. Alors, pour représenter une perspective atmosphérique, l'arrière-plan doit nécessairement être plus flou, plus clair et plus froid que le premier plan.
Mon travail est uniquement superposition d'espaces et de temps multiples. Tout est un jeu de plans. Et un jeu de plans qui interagit entre plans de l'espace fictif et plans de l'espace réel. Tout mon intérêt s'est alors porté sur la manière dont je peux faire voyager l'œil entre ces différents plans. Que le regard traverse les couches spatiales et temporelles. Qu'il parte du point A du premier plan, au point B du hors-champs du mur. Et tous les plans intercalés entre eux aussi ! Pour moi, la question était alors : comment passer de la surcharge informationnelle que proposent mes peintures au vide du mur blanc ?
Afin de suggérer les étapes de passage, deux solutions ont été mises en place : le blanc et l'envers.
BLANC
A Athènes, j'ai beaucoup travaillé l'interaction entre la matière de la peinture et la matière textile. J'y ai ainsi apprécié les possibilités qu'offre la peinture acrylique et les nuances de blanc obtenus par sa dillusion dans l'eau. J'ai été fasciné par l'imprégnation plus ou moins directe de la peinture dans les profondeurs des fibres du tissu. Je me suis donc concentré sur le blanc et ses nuances. Après l'introduction de la découpe, mes réflexions sur le White Cube et mes photographies Polaroid, ces nuances ont pris une intention plus précise : suggérer les plans par l'intensité des blancs et amener le regard vers les ouvertures.
PEINTURE ---} MUR
INFORMATIONS ---} ÉVAPORATION DES INFORMATIONS
TO ---} B--- ---} B-- ---} B- ---} B ---} B+ ---} B++ ---} B+++ ---} D*
ENVERS
Quand je cherche mes matières textiles, dans un marché au puce par exemple, ce qui prime dans la sélection est leur caractère informationnel : couleurs, formes, motifs, reliefs. J'observe toujours très attentivement chaque détail de l'endroit/le recto. Puis j'observe le verso/l'envers avec la même attention. Ce tissu, qui deviendra peinture-sculpture , doit susciter l'intérêt par ses deux faces.
Dans certains cas, l'avant et l'arrière sont jumeaux. Dans d'autres cas, ils divergent mais toujours dépendant l'un de l'autre. A l'image d'une impression en creux, l'arrière jouerait le rôle de matrice et l'avant serait le résultat de cette même matrice. L'arrière serait appauvrit en information, tandis que l'avant serait son pendant riche et complet. C'est d'ailleurs ce qui permet de définir l'avant de l'arrière. Puisque l'arrière présente des « manques », l'avant est un avant et c'est cette surface qui sera ensuite utilisée.
Dans le deuxième cas, l'arrière d'un tissu présente une perte d'intensité informationnelle. C'est justement cette surface qui m'intéresse dans ce grand jeu de passage OEUVRE ---} ENTOUR. L'introduction de ces zones plus évanouies est donc une alternative à l'utilisation du blanc.
ENDROIT = INFORMATIONS (+)
ENVERS = INFORMATION (-)
Par le (re) travail du blanc et de l'envers, il s'agit de revisiter la technique de la perspective atmosphérique puisque tout l'intérêt est de traverser les plans spatiales et temporelles grâce à l'évaporation informationnelle. Ce qui se joue c'est un voyage à l'itinéraire planifié proposant d'explorer les premiers plans chargés en informations et rendus très précis (couleurs/formes/motifs...) pour enfin se rendre vers les zones les plus lointaines : l'architecture du monde réel.
*Tissu original (sans intervention) ---} Blanc (très très très faible) ---} Blanc (très très faible) ---} Blanc (très faible) ---} Blanc (moyen) ---} Blanc (très intense) ---} Blanc (très très intense) ---} Blanc (très très très intense) ---} Découpe
Samuel Francart, Focus sur la découpe, le White Cube, les nuances de blanc/l'envers et la question de la perspective atmosphérique, Victoria-Athènes, 12 avril 1025

Focus sur les ZONES DE DÉCOUPE textile et la surexposition dans la PHOTOGRAPHIE POLAROID
Avant de quitter la France pour Athènes, j'avais déjà l'idée de mon retour à l'esprit. Il y avait, avant même que je parte, l'urgence de la mémoire. Alors, il fallait que je recense le territoire grec par tous les moyens. Je me suis donc empressé de me procurer un appareil photo Polaroid. J'ai choisi ce type d'appareil car il y a toujours une marge entre le résultat projeté et le résultat obtenu. Que ce soit en termes de composition, couleur ou lumière, on ne peut pas toujours tout prévoir. Et c'est précisément ce qui m'intéressait. Je voulais que mes photographies m'échappent. Réserver une place à la surprise...
C'est alors grâce au voyage qu'à débuté mon travail photographique. Au début, je percevais la photographie comme une étape préparatoire. Un médium destiné au processus de création, assujetti aux médiums de la peinture et de la sculpture. Je ne me doutais pas que la photographie bousculerait et s'infiltrerait à ce point au sein de l'ensemble de ma pratique.
Je me rappelle précisément où est apparu mon déclic photographique : à Santorin. Encore plus précisément dans le village de Megalochori. Je venais de prendre en photo une petite église bleue et blanche, clichée de ce type d'île. Comme pour chaque photographie Polaroid, après la prise de photo, il y a un petit temps d'attente. Révélation des couleurs et des formes. Ce jour-là, il faisait particulièrement chaud. Le soleil frappait fortement la rétine qui avait du mal à faire le focus. L'appareil était visiblement encore plus en difficulté. Après quelques minutes, le résultat final est apparu. Un peu décevant. Cette photographie était fortement surexposée ce qui conduisait à l'apparition de nombreuses larges plages blanches. Certaines zones étaient cramées comme découpées par la lumière. Les zones en question étaient les zones que j'avais du mal à percevoir moi-même : les blancs des murs. Miroir d Ήλιος.
Après avoir passé ce sentiment de déception, je me suis mis à entrevoir cette photographie d'une manière plus neutre. Effectivement, la photo est surexposée, des zones ont été cramées. Soudain, j'ai pris conscience de l'intérêt de ces zones. Elles apportent lumière et perspective. Elles découpent et fragmentent l'espace tout en mélangeant les strates spatio-temporelles.
Ces zones de surexposition, ce sont des zones de réserve, des arrière-plans, des hors-champs, des ouvertures sur les Possibles. Plus tard, elles seront des zones de découpe.
Samuel Francart, Focus sur les zones de découpe textile et la surexposition dans la photographie Polaroid, Victoria-Athènes, 11 avril 2025

Focus sur les zones de découpe textile, le blanc du mur et la conception de la RESERVE en peinture
Les zones de « réserve » désignent les parties d'une composition non recouvertes/non colorées. Il s'agit de s'abstenir d'ajouter de la matière afin de rendre visible le support lui-même : la toile. Ces zones sont extrêmement importantes puisqu'elles peuvent apporter lumière et respiration au sein de la composition.
De plus en plus, mon travail embrasse l'abondance. Les motifs/couleurs/formes/matières affluent de tous côtés. Alors, afin d'harmoniser la surcharge informationnelle, j'introduis systématiquement la réserve. Je ne me réserve pas de soustraire par la découpe. Et c'est précisément dans les zones de découpe, devenant ensuite les zones blanches du mur d'exposition, que se (re) jouent le rôle de la réserve en peinture. Par la découpe, je tire parti non pas des composantes du support mais des composantes du support du support (le mur).
La réserve par découpe permet :
- lumière et aération
- régulation de la surcharge informationnelle
- introduction de l'espace d'exposition au sein même de la composition de l'œuvre : l'espace entour devient une partie de l'espace de l'œuvre (HORS-CHAMPS = PLAN)
ESPACE ENTOUR ---} RÉSERVE ---} HORS-CHAMPS ---} PLAN
ESPACE D'EXPOSITION = OEUVRE
OEUVRE = ESPACE D’EXPOSITION
Samuel Francart, Focus sur les zones de découpe textile, le blanc du mur et la conception de la réserve en peinture, Victoria-Athènes, 10 avril 2025

Focus sur les zones de découpe textile et les ZONES VIERGES en cartographie
Mes peintures sont composites. Elles sont constituées d'une pluralité d'éléments spatiaux et temporels que j'ai capturés/isolés au sein de plusieurs paysages réels. La base de ma pratique est le Territoire. C'est donc tout naturellement que j'ai orienté mon intérêt vers la question de la cartographie. Je considère et nomme d'ailleurs mes peintures des New Utopian Maps.
Un des points communs entre la cartographie et mon travail est la place accordée aux zones vierges. Essentiel dans mes compositions, ces vides participent à l'harmonie qu'entretiennent les pleins et leurs pendants, les vides eux-mêmes. Tous deux se nourrissent et se renforcent par leurs interactions. Souvent perçus comme des zones de « rien » à combler, ils sont une invitation à l'imagination, des zones des Possibles dans lesquelles nous pouvons nous perdre. Encore une fois, il s'agit d'égaliser les rôles en donnant un pouvoir d'action à l'Autre : le public est tout aussi acteur de la création artistique.
ZONES BLANCHES
Dans son livre Un livre blanc, Philippe Vasset affirme que “Si on prend des cartes IGN, il y a toujours des endroits qui sont laissés blancs”. Selon lui les cartes “dissimulent des choses que l’on pourrait voir”; “ce blanc recouvre des choses qui ne sont apparemment pas représentables”.
Selon Matthieu Noucher, dans son livre Blancs des cartes et boîtes noires algorithmique, la création de carte est avant tout un travail d’abstraction, de sélection et d’omission de certains éléments, le tout servant un propos préalablement déterminé. Il explique qu’avant le XVIIIe siècle, ces zones blanches étaient les zones des cartes laissées, comme abandonnées, par manque d’information. Les espaces blancs représentaient les espaces inconnus du Monde. Mais les cartographes avaient cependant du mal à accepter ces zones vides. Elles se voyaient alors décorées d’une multitude de dessins imaginaires afin de combler ces espaces. Puis après le XVIIIe siècle, le blanc s’assume tout en assumant ce manque d’information géographique. Il suscite alors un grand désir de découverte et une immense ouverture sur l’ailleurs de ce Grand Monde.
Laisser les blancs servait donc le désir de conquête spatiale. Pouvoir politique. Dans ma pratique, il s'agit d'une ouverture sur l'Ailleurs mais en aucun cas d'une conquête ou d'un quelconque pouvoir exercé sur le territoire. La découpe est au contraire un moyen de laisser délibérément des zones vierges, zones complétées ensuite par des morceaux d'espaces extérieurs. Mes peintures sont des micro architectures molles entretenant des relations égalitaires entre elles et leur espace entour. La découpe permet la relation entre ces deux corps : corps Œuvres/Entour de l'œuvre. Soudain, les œuvres deviennent poreuses et perméables, toutes ouvertes sur l'immensité de l'Exterieur.
OEUVRE ---} ENTOUR
ENTOUR ---} OEUVRE
Voyages, vas et viens. De l'espace fictif à l'espace réel. De l'espace réel à l'espace fictif...
Dans une dimension supérieure, il s'agit de voyager dans la pièce puis dépasser la pièce elle-même pour divaguer ensuite dans l'architecture du Monde. BAROQUE
Samuel Francart, Focus sur les zones de découpe textile et les zones vierges en cartographie, Victoria-Athènes, 9 avril 2025


Focus sur la structure du store-enrouleur et la conception du Temps et de l'Espace dans les ROULEAUX CHINOIS
La peinture chinoise est très particulière en ce qu'elle propose l'expérience de l'Expérience. Elle se veut existentielle et démiurgique puisque l'artiste chinois doit recréer les gestes du Créateur pour façonner son propre territoire fictif. Pour cela, il doit comprendre le territoire réel, le comprendre profondément, le ressentir intrinsèquement pour ensuite le traduire sous la forme du tracé à l'encre. L’art chinois n’est donc pas représentation mais incarnation philosophique et ontologique de la vie.
Dans son livre Vide et plein, le langage pictural chinois, François Cheng ne cesse de montrer à quel point l'art chinois permet au spectateur de transcender sa propre nature en comprenant et en vivant pleinement les composantes essentielles de la vie : le temps et l’espace évoluant dans le Vide.
Il serait extrêmement fastidieux de résumer ici de tels concepts, c'est pourquoi je vous renvoie au texte de Cheng et que je me permets de me focaliser sur un point précis : « le rouleau suspendu » ou « rouleau manuel ».
Toute l'expérience de la peinture chinoise réside dans la transgression que peut ressentir le public : transgresser son propre espace et sa propre temporalité. Cette transgression Espace-Temps s'opère à un niveau supérieur par la pratique traditionnelle de la peinture enroulée sur elle-même. Enroulée, tout l’univers entier constitué par le peintre devient fermé sur lui-même. Alors, dérouler le tableau c’est dérouler l’Espace de la peinture dans l'Espace environnant. Dérouler le tableau est déroulé la Temporalité de la peinture dans la durée d’un Temps éprouvé physiquement par le public. “À mesure que le tableau se déroule, ce Temps vécu se spatialise”. La peinture est donc une traduction du Temps vécu en espace vivant.
Comme Viallat, déplier les peintures dans l'Espace, c'est déplier le Monde. Ouvrir son propre monde à l'immensité du Monde environnant. Façonner un nouveau Monde par entrechoquement des Mondes. Et déplier le Monde ensemble, le faire physiquement, c'est expérimenter les Espaces et les Temporalités des Mondes. C'est vivre ces composantes existentielles. Enfin, c'est incarner notre propre existence.
Samuel Francart, Focus sur la structure du store-enrouleur et la conception du Temps et de l'Espace dans les rouleaux chinois, Victoria-Athènes, 8 avril 2025

Focus sur la METAMORPHOSE et le concept d'ENTROPIE/NEGUENTROPIE
En 1967, l'artiste Robert Morris révolutionne l'histoire de l'art en proposant des sculptures dites « molles », explosant ainsi toutes les certitudes que l'on peut accoler au monde de l'art.
Sa révolution se situe dans le fait qu'il ne joue pas sur les matériaux mais bien avec les matériaux. En effet, cherchant à s'échapper du primat de la composition telle que l'entrevoie Alberti et à harmoniser tous les éléments internes et externes pouvant se rencontrer, l'artiste en arrive à un constat essentiel : mettre en avant l'agentivité matérielle des œuvres. Ainsi, l'artiste récupère des fragments de tissus multiples (majoritairement la matière du feutre) prédécoupés dans des usines textiles. Libéré de la toute souveraineté de la main de l'artiste, Morris va ensuite suspendre ces matières de multiples façons dans les espaces d'exposition, toujours en suivant la logique des matériaux. Cette approche anti-compositionnelle et anti-formelle de l'accrochage est le point culminant de son travail puisque c'est cette étape qui va permettre aux matières de libérer leurs caractéristiques intrinsèques.
Morris explore donc profondément le matériel par une approche écologique de la composition des œuvres en combinant énergie et traitement de l'information. Ses œuvres ouvrent à une vision du monde matériel envisagée sous le prisme des échanges énergétiques. Il laisse donc pleinement les matériaux agir et se déployer dans l'espace et dans le temps et accepte le caractère hasardeux des phénomènes naturels telle que la gravité.
À travers ses œuvres, ce qui est mis en lumière c’est bien cette dualité intrinsèque qui régit chaque matière vivante : celle du couple entropie-néguentropie. D'un côté l'entropie, caractérisée par l'ordre et la régularité des formes découpées industriellement. De l'autre côté, la néguentropie d'un accrochage qui mène systématiquement la composition à sa destruction et à son chaos intérieur.
DUALITÉ ONTOLOGIQUE
L'imprévisible nouveauté. Le changement permanent. Des œuvres qui ne se définissent pas dans leurs propres contours. Des œuvres qui vont au-delà d'elles-mêmes. Des œuvres qui combattent leurs contradictions.
Les stores-enrouleurs sont en quelque sorte une poursuite de cette révolution artistique puisque le couple entropie/néguentropie s'incarne dans les composantes même des pièces.
D'un côté, la structure du store fixée solidement au mur d'exposition contient les énergies au cœur de la rigidité du tube métallique = NÉGUENTROPIE
De l'autre côté, la pièce en tissu suspendue verticalement, libre de tomber et de se plisser à sa guise. L'absence de barre inférieure ou de petit poids supprime toute tension textile. Les énergies s'expriment alors dans le tissu et se perçoivent à mesure que la matière s'éloigne de son point d'accroche = ENTROPIE
Mais, la structure même du store-enrouleur joue et relance les conflits qu'entretient le couple. La main donne l'impulsion, transmet l'énergie au mécanisme de rotation qui se diffuse ensuite au sein de toute la pièce. La composition tourne sur elle-même formant ainsi un tourbillon énergétique.
ENTROPIE = NÉGUENTROPIE. MÉTAMORPHOSE. NÉGUENTROPIE = ENTROPIE
POINT DE BASCULE.
APOLLON ET DAPHNÉ DE BERNIN
Samuel Francart, Focus sur la métamorphose et le concept d'entropie/néguentropie, Victoria-Athènes, 10 avril 2025

Focus sur la structure du store-enrouleur et la question de la PLURIDISCIPLINARITE
STORE
Grâce à ce moyen d'accrochage, c'est donc tout naturellement que j'ai dirigé ma pratique de la peinture vers une pratique pluridisciplinaire.
(photographie/dessin) PEINTURE ---} SCULPTURE ---} INSTALLATION ---} PERFORMANCE
Que ma pratique voyage entre les médiums ! Que le propos soit plutôt l'univers visuel que le médium choisi. Que l'esthétique s'infiltre partout et s'incarne par tous les moyens.
1. Photographie/Dessin
Je commence toujours mes pièces par l'expérience des territoires. Marcher dans le monde. Alors je recense les formes, couleurs, motifs, compositions par la photographie et le dessin.
2. Peinture
Retourné à l'atelier, je combine toutes ces matières par ajout ou soustraction : découpe/collage. Même si les reliefs interviennent, l'ensemble est plutôt bidimensionnelle.
3. Sculpture
Posées sur structure de store-enrouleur, c'est à cette étape que ces peintures prennent une forme tridimensionnelle. Même si ces pièces sont ensuite fixées au mur, elles ne sont pas uniquement visibles dans leur frontalité. La mécanique du store-enrouleur permet, comme le nom de ce type de store l'indique, d'enrouler les pièces sur elles-mêmes. Ainsi activées par la main, les pièces peuvent être perçues de face comme de dos. Soudain, elles deviennent des sortes de « ronde-bosses ». Des ronde-bosses un peut spéciales puisqu'elles se présentent sur le support du mur d'exposition. Mais ronde-bosses tout de même puisqu'elles peuvent être observées sous différents angles sans physiquement devoir se déplacer autour d'elles. Ce sont les pièces qui se déplacent.
4. Performance
Afin qu'elles deviennent ronde-bosses, qu'on puisse les observer sous toutes leurs formes et afin d'apprécier leurs métamorphoses, ce type de pièce doit être utilisé. Qu'on les touche ! Qu'on ne prive surtout pas le spectateur de la tactilité.
L'interaction avec ces types de pièces peuvent donc prendre des formes multiples : performance pensée et effectuée par des professionnels, performance effectuée par le public... Expérience Fluxus.
Samuel Francart, Focus sur la structure du store-enrouleur et la question de la pluridisciplinarité, Victoria-Athènes, 8 avril 2025


Focus sur la structure du STORE ENROULEUR et la question de la FENETRE ALBERTIENNE en peinture
Afin de respecter et de travailler avec la qualité intrinsèque essentielle du tissu, la fluidité, j'ai refusé le châssis ou toutes autres structures visant à la tension textile. J'ai travaillé ces peintures au sol, en intervenant par ajout ou soustraction toujours en suivant ce que le tissu voulait exprimer.
A la fin de mon Erasmus, quand j'ai dû repartir en avion avec mes pièces, je les ai tout simplement pliées/repliées sur elles-mêmes comme des linges puis disposées dans mes valises. Viallat. Revenu en France, lorsque je devais les présenter, la question de l'accrochage s'est alors posée. Comment préserver la fluidité tout en introduisant une structure ? Comment accrocher sans figer ? Comment jouer avec les possibilités d'accrochage ?
Repenser le cadre, donc.
Mais un cadre, non-cadre !
En repensant à tout l'imaginaire du territoire urbain grec, l'image d'un objet s'est imposée : le store. Qu'il soit store-banne ou store-enrouleur, cet objet du quotidien colonise l'architecture tout en lui conférant une certaine poésie. J'ai passé un temps important à la contemplation de ces tissus-architectures. De la rigidité parfois froide du marbre grec surgit soudain un store aux couleurs, motifs et aux mouvements vibrants.
J'ai donc posé ces peintures sur plusieurs structures de store-enrouleur dont une que j'ai accrochée sur une des fenêtres de mon appartement. Poursuite de l'histoire de l'art.
Le store-enrouleur est un élément de la fenêtre. Et dans l'histoire de l'art, la fenêtre est une métaphore de la peinture. Dans De Pictura, Alberti bouscule la manière de percevoir l'art en affirmant que le médium de la peinture est une fenêtre ouverte sur la vie. Alors, lorsque l'on regarde une peinture, c'est comme devenir une yiayia grecque : observer le spectacle de la vie mais cette fois-ci, une vie fictionnelle, créée par l'artiste.
Mes stores sont donc un clin d'œil à ce concept. Non pas une adhésion mais plutôt une continuité puisque mes peintures ne sont pas des fenêtres mais l'élément qui cache/recouvre la fenêtre de la vie.
(OPERIRE ---} PEINTURE)
Mes peintures s'infiltrent, voilent le paysage en se plaçant physiquement entre l'espace du paysage et l'espace du spectateur. Il s'agit donc de superposer des paysages composites et fictifs sur les paysages réels de l'arrière-plan (dans le cas d'une peinture store posée sur une fenêtre).
HETEROTOPIES HETEROCHRONIES
Samuel Francart, Focus sur la structure du store-enrouleur et la question de la fenêtre albertienne en peinture, Victoria-Athènes, 8 avril 2025


Introduction au pan de ma pratique artistique : « Stores-enrouleurs ».
Le cas des trois premières pièces lançant la série NUM-Ath/Fr 1,2,3
NUM-Ath/Fr 1,2,3 sont les trois premières pièces réalisées en 2024 lors de mon Erasmus à Athènes. J'y ai vécu pendant un an, sillonnant la capitale ainsi que les îles. La pratique artistique qui en a découlé est la réaction sensible de l'amour et de la fascination que je porte à la Grèce.
Architectures
Lumière Stores enrouleurs/Stores bannes
Strates
Perspectives
Bleu. Blanc.
MOTIFS
Retourné en France, le triptyque été achevé à Lille un an après leur réalisation. En repensant à tout l'imaginaire grec, l'objet du store comme moyen d'accrochage et de présentation des pièces s'est installé puis concrétisé dans ce pan de ma pratique « Stores enrouleurs ».
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PROTOCOLE DE CREATION EN 3 ETAPES (possibilité de transgression) :
I. Ce que je fais toujours en premier, le point névralgique de ma pratique, c'est déambuler. La MARCHE. Découvrir. Rencontrer. Tracer des itinéraires. Se perdre dans les décors. Expérimenter mon corps au sein de cet immense paysage étranger...
Déclencher l'impulsion, aussi.
MARCHE ---} CREATION
CREATION ---} MARCHE
La marche comme support de la création. Kouroi. La création comme support de la marche.
II. Sorti de la contemplation, là se joue le RECENSEMENT. Collecter le paysage. Faire collection par archivages/documentations. Prendre les souvenirs des lieux à travers différents procédés visant à capturer la mémoire tout en la modifiant : 1. La Machine (photographies numériques ou polaroids). 2. La Main (croquis dans un petit carnet de recherche). 3. Le Mot (textes descriptifs des paysages, écrits d'artistes).
SERENDIPITE
POSSIBILITES
III. Journaliste des territoires qui extrait et surligne les fragments d'Espaces et de Temps multiples, ce qui se met en place dans cette étape est la COMBINAISON hétérotopique et hétérochronique. Abolition de la hiérarchisation de la valeur des images par combinaison de morceaux de mémoires personnelles, collectives et historiques.
Ainsi j'emprunte aux Autres. Ce peut être des références empruntées aussi bien à l’intelligence de l'Histoire de l'Art et aux artistes la constituant, qu'à des banales inscriptions taguées par des inconnus au coin d'une rue, qu'à des architectures ou morceaux de moulures façonnant les territoires dans lequel les corps circulent, qu'à des matières récupérées au hasard dans le contrebas d'une montagne, sur un chemin de randonnée....
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TRANSFORMER PLUTOT QUE CREER
Très souvent, je dis que je suis un transformeur plutôt qu'un créateur. Il me semble plus correct de souligner le rôle des acteurs, des matières, des objets et des cultures qui me dépassent par la primauté de leurs historicités.
Je ne suis pas l'artiste souverain de toutes ces productions.
Ces pièces, ce sont celles
- d'Alberti, Georges Perec, Michel Foucault, Tania Navarro Swain...
- de Léonard de Vinci, Shirley Jaffe, Robert Morris, Chryssa Romanos, Marion Baruch, Claude Viallat, Speedy Graffito, Justin Weiler, Gael Davrinche...
- de l'usine ou du tisserand ayant réalisé les matières que j'utilise, de toutes les personnes ayant récupérées ces pièces et les ont vendu à moindre coût à Eleonas market à Athènes
- de ma grand-mère m'ayant donné quelques tissus
- de la culture française, grecque, espagnole, chinoise...expérimentées directement ou transmises sous différentes formes
- de l'Histoire de l'Art, de mon quotidien, de mes voyages
- ...
Dans un grand mouvement circulaire, il s'agit de prendre au Monde puis de lui restituer.
Samuel Francart, Introduction au pan de ma pratique artistique : « Stores-enrouleurs », Victoria-Athènes, 5 avril 2025

La mer d'Elli Beach
La mer qui se déploie par fragments. Fragments de vagues à durée de vie variable. Fragments de vagues qui se singularisent puis se rejettent dans le Grand Tout. Cercle de velours.
Une infinité de plis résonnant dans les strates des Espaces et des Temps.
Le μπλε qui voyage. Circule dans ses propres nuances. S'enfuit vers l'άσπρα. Redevient μπλε.
Cercle de velours.
Θάλασσα
Le soleil couvre et enveloppe les surfaces. S'infiltre dans les plis. Révèle l'άσπρα. Crame les reliefs par surexposition.
Photographies des Possibles.
Ο ήλιος
Au centre de la photographie : un escalier
Imposant objet. Composition harmonieuse ?
Focus sur cet objet. Il semble percé par la lumière. Semble découper la surface. Semble ouvrir l'Espace. Vers un autre Monde.
Objet trônant
défiant le
velours.
jusqu'au Ciel
depuis la Mer S'arrête
monte sur le Néant
L'escalier qui se jette
du Ciel
jusqu'à
la Mer.
Liant imprévu
Des touristes le gravissent. Se jettent dans le vide.
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Cercle à nouveau enclenché à d'autre niveau.
L'escalier des Possibles de la mer d'Elli Beach...
Samuel Francart, La mer d'Elli Beach, Rhodes, 4 mai 2024


ATHENES
Profondeurs incommensurables. 1,2,3,4....infinité des plans courant jusqu'aux montagnes, jusqu'à la mer, jusqu'au ciel. Perspective courant vers des Ailleurs, direction les Possibles !
Informations +++. Informations ++. Informations +. Informations -. Informations --. Informations ---. Vide
Superpositions dans tous les sens. Collages
Rigidité des architectures/souplesse des pare-soleils : logique et poésie
Soleil perçant l'eau, les vitres, les structures métalliques... Zones spatiales cramées. Hors-champs multiples. Découpages
Opacité et transparence
Courbes et contre-courbes. Jeux de relance
Aplat de bleu. Ciel ouvert
Athènes, profondeurs incommensurables, capitale de mon univers baroque
Samuel Francart, ATHENES, 10 juillet 2024, Fondation Stavros Niarchos, Athènes, 2024

Tania Navarro Swain, Les hétérotopies féministes : espaces autres de création, 2007
« Je parle ici, donc, d'un sujet qui, assujetti à son identité sociale la dépasse et devient ainsi un être en construction, en devenir, au cœur d'une poétique identitaire, entendue ici en tant que processus, mutation où les limites ne se traduisent que dans le passé, au fil d'une cartographie de moi, au cœur même d'une identité en transition. Nous avons ainsi l'expression de la base historique de l'expérience vécue et l'action qui l'a dépasse, la critique, un espace autre de mouvement et de production de « moi ». »
« Moi, en fluidité, je suis une autre, au-delà de ce que et qui je parais ou de ce que je dis. Je suis l'espace de moi, migratoire, transitoire, dans cette cartographie qui me révèle et me nie. Je suis le miroir de moi, un lieu sans lieu, je suis en fait, l'hétérotopie de moi-même, l'espace autre où je puis re-créer mon être dans le monde, où les normes et les modèles n'ont pas de prise. »
« ...j'invente de nouveaux mondes, je chante des refrains inconnus et échappe à la lourde matérialité venant de l'extérieur pour me fixer, pour me cristalliser ; j'échappe aussi aux pièges tendus par moi-même, où souvent je me fais enfermer. L'espace de « moi » c'est la trajectoire que j'institue et qui me porte en pointillé, où chaque moment je suis l'autre, la durée d'un soupir. »

Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.
« On ne vit pas dans un espace neutre et blanc. On ne vit pas, on ne meurt pas, on n'aime pas dans le rectangle d'une feuille de papier. On vit, on meurt, on aime dans un espace quadrillé, découpé, bariolé, avec des zones claires et sombres, des différences de niveau, des marches d'escalier, des creux, des bosses, des régions durs et d'autres friables, pénétrables, poreuses. Il y a les régions de passage, les rues, les trains, les métros. Il y a les régions ouvertes de la halte transitoire, les cafés, les cinémas, les plages, les hôtels et puis il y a les régions fermées du repos et du chez soi. »